Au comble des fleurs
De prime abord, une porte suspendue et dressée selon les vestiges de rites lacustres et semblable aux portiques votifs d’alors, faite d’un treillage d’ors que dispense de part et d’autre de son arche des grappes de souffre, de mauve, de pourpre trempés de grisailles. (…) Jardin noir.
Oh ! Violette – Ou la politesse des végétaux présente un ensemble de dessins accordés, une pluralité de formats peints et ornés de Camille Fischer. Le commissariat rejoue par ellipses l’esprit de la chambre, égrainant par litanie et pâmoison, tel qu’un grand bouquet d’ombres et de fleurs, les vertiges de visions où l’intimité de l’éros rencontre un caprice caméral. En défeuillant les motifs peints sur le sujet, dans un calme hommage à ses modèles, Camille Fischer consume les apparences fugitives, les frêles fractions, les diagrammes secrets d’un mille-fleurs grinçant, les affres d’un oxymore mondain.
Rêveries rappelant les cohabitations d’étrangetés qu’ont fabriquées Lise Deharme et Claude Cahun dans le recueil poétique illustré Le cœur de Pic, cette exposition se déploie comme une mise en suspens, autant accrochage d’antiquaire que chimérisation par motifs réassemblés à la surface du mur, grand papier peint holistique et dantesque. Telle une ornemaniste ensemblière qui compose par coordonnés et variations, Camille Fischer propose une folie florale par montage de dessins juxtaposés où une galerie de jeunes femmes rencontre d’autres portraits, fleurs d’artifices théâtrales autant qu’éphémères.
L’artiste orchestre ici l’enregistrement du huit clos, où chaque agencement flirte avec la domestique compulsivité de posséder un lieu à soi. Et relève autant une contre réforme décorative du punk poster épinglé adolescent qu’un geste anathème imposé aux savoir-faire pour mieux trouver l’interstice de la demi-teinte, de la transparence textile, de la broderie fébrile.
Le long du fameux treillissé, des rocailles, des dais, des parterres. De ravissement en ravissement, un atlas de formes flore (…) s’imprime sur l’apparence profuse du fond perlé qui livre ses séquences. L’œil navigue de plans nets en passades floutées, partout un poème de fleurs ; un cruising débordant même, le goût de la latence inclus, agite de pulsions l’œil qui dénombre la variété.
Perdu dans l’immense glossaire botanique, imprégné de rêveries d’échelles et d’encastrements, et dans d’hypothétiques rochers palermitains, bordés de palmiers, ce pavillon creux, habité ou mieux renversé comme un gant sur lui-même, absorbe le jardin dans son entier sous les replis de la main de l’artiste, improvisée en chambre. Têtes brodées, typographies peintes, densités de traits et de points glitter figurent le grotesque extraordinaire d’une matérialité de fleur de souffre.
Et dans le placard, la grimace, la simagrée du démon, l’œil torve et la dent dégagée au dessus de la babine. Au comble.
Mathieu Buard, janvier 2024.